Matthieu Chaigne est directeur conseil chez Taddeo (cabinet de conseil stratégique en communication pour les entreprises) et co-fondateur de Délits d'Opinion, site de décryptage et d'analyse de l'opinion. Il est auteur notamment de La France en face (éd. Du Rocher) à paraître le 22 mars prochain.
"Il y a deux signaux inquiétants à prendre au sérieux. D'abord sur le vivre-ensemble. Selon un sondage Kantar publié il y a deux ans, un tiers de Français disent que nous ne partageons plus rien ensemble. Ça veut dire que nous ne pouvons plus envisager de faire des sacrifices si l'autre est jugé comme un assisté potentiel, si l'autre est vu comme ayant pour seule volonté de détruire nos valeurs et ce que nous sommes.
Le deuxième signal, c'est ce que j'appelle la "néo réalité": le discrédit des élites et des médias fait que chacun se construit sa propre vision du réel, notamment à travers les réseaux sociaux. Ainsi, entre 20 et 25% des Français pensent que les attentats contre Charlie Hebdo ne se sont pas déroulés comme les médias le racontent.
Donc, si on ne partage plus le même diagnostic de ce qui se passe en France et que nous n'avons plus le sentiment de partager la même communauté, il y a là les ingrédients d'une potentielle explosion.
"Daesh inocule le poison de la défiance"
C'est sur ce terreau là que Daesh vient mettre de l'huile sur le feu pour semer le poison de la discorde. Daesh utilise les attentats pour jeter les communautés les unes contre les autres en inoculant le poison de la défiance, qui consiste à voir dans l'autre une menace potentielle. Il y a un risque aujourd'hui de société paranoïaque. D'ailleurs, 40% des Français indiquent avoir changé leurs habitudes après les attentats. Ce poison de la paranoïa est extrêmement nocif, puisqu'à terme, on peut imaginer que des gens échaudés s'en prennent à la population musulmane.
Il y a, aujourd'hui, de plus en plus de Français qui ne font pas la différence entre l'islam et l'islamisme. Si on ne fait plus de différences, on peut en arriver à attaquer une mosquée après des attentats par exemple. Le risque, c'est que des attentats jettent des membres de la communauté musulmane dans les bras d'extrémistes parce que eux-mêmes seraient visés par des gens d'extrême-droite. Néanmoins, et c'est rassurant, on n'a pas constaté lors des derniers attentats de montée en puissance de dégradations sur des lieux musulmans.
"Une très grande majorité des Français veut la paix"
On le voit, il y a des ingrédients, mais parler d'une guerre civile imminente où chacun prendrait les armes, c'est fictif. Aujourd'hui on a un peuple français qui, dans sa très grande majorité, veut la paix. Une enquête de l'institut Montaigne auprès des musulmans montre également qu'une grande majorité cherche avant tout à s'intégrer au sein de la République.
La plus grande menace n'est pas celle de la guerre civile, c'est celle de la cohabitation forcée entre des gens qui n'auraient plus rien avoir à faire ensemble.
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